
Le procès de militants du suicide assisté, tribune pour l'aide à mourir

Avec son défilé à la barre de médecins ou intellectuels spécialistes du sujet, d'anonymes ayant aidé leurs proches à en finir, le procès à Paris de militants du suicide assisté s'est transformé pour sa première semaine en tribune pour l'aide à mourir.
Âgés de 74 à 89 ans, douze adhérents de l'association Ultime Liberté sont jugés pour avoir, entre août 2018 et novembre 2020, aidé des dizaines de personnes à acheter sur internet du pentobarbital, un barbiturique entraînant une mort rapide et sans douleur.
Ces retraités ne sont poursuivis que pour des délits liés au trafic de substances illicites, non pour incitation ou aide au suicide.
Au fil des témoins cités par la défense s'esquisse devant la justice le continent caché de l'aide à mourir pour des malades en grande souffrance. Un acte illégal mais néanmoins pratiqué à travers toute la France, dans le secret des familles, derrière les portes closes de chambres à coucher.
"Au nom de tous les médecins anonymes qui pratiquent entre 2.000 et 4.000 euthanasies par an", le Dr François Guillemot, retraité, raconte aux juges les derniers instant d'Yves (prénom d'emprunt), un ouvrier métallurgiste rongé par une énorme tumeur cérébrale et qui l'avait contacté pour l'aider à partir.
Après un ultime entretien avec ses proches, le malade leur demande de sortir de sa chambre. Le médecin et lui restent seuls.
"Il me regarde vraiment dans les yeux. Il me dit +vas-y+, en me tutoyant. Alors j'injecte le produit. En sortant, je me suis dit que j'étais en totale cohérence avec moi-même. Comme Bernard Senet (l'un des principaux prévenus, ndlr), je pense que l'aide active à mourir est un soin, certes le soin ultime", raconte ce militant de la fin de vie.
L'accompagnement dans la mort par la médecine est en réalité un sujet relativement récent, conséquence des progrès de la science et de l'allongement de la durée de vie, met en perspective l'ancien journaliste François de Closets, 91 ans, auteur il y a une vingtaine d'années d'un livre-enquête sur les enjeux de la fin de vie en France.
"Au XIXe siècle, la médecine ne connaissait pas la mort. Le médecin s'en allait et croisait le curé qui arrivait avec l'extrême onction. La mort était l'affaire du curé, pas du médecin. La médecine moderne a pris en charge la mort", explique l'essayiste d'une voix fatiguée.
- "Mal mourir" -
D'après lui, la frilosité de la législation française sur le sujet, par rapport aux lois belge ou suisse qui permettent l'accès au suicide assisté sous certaines conditions, est imputable à la tradition catholique du pays.
"Avec le chlorure de potassium, l'homme meurt sans agonie. Il se trouve que les religions n'aiment pas ça. Pour les religions, il faut que les hommes rejoignent leur créateur mais au terme de leur agonie", fustige l'ancien homme de télévision.
Dressant le parallèle entre le mouvement pour l'aide à mourir et la campagne pour la légalisation de l'avortement au début des années 1970, nombre de témoins saluent l'avancée législative et sociétale que représenterait selon eux le texte voté en première lecture en mai par l'Assemblée nationale et qui attend désormais être examiné par le Sénat.
Cette proposition de loi du député (MoDem) Olivier Falorni créerait un "droit à l'aide à mourir" en France. Elle légaliserait le suicide assisté, et de manière exceptionnelle, l'euthanasie, sans pour autant que ces mots jugés connotés négativement ne figurent dans le texte.
En France existe sur ce sujet "un clivage idéologique qui, à mon avis, n'est pas franchissable, en tout cas en l'état actuel des forces en présence", note devant les magistrats la médecin retraitée Véronique Fournier, spécialiste des questions de vieillesse et d'éthique médicale.
"Nos concitoyens n'ont pas tant peur de mourir que de mal mourir", estime-t-elle, "ce qu'ils craignent c'est d'avoir à vivre une période très longue d'une très mauvaise qualité de vie, très détériorée, insupportable, et qui perd de son sens pour eux comme pour leurs proches. Une vie dont le sel a disparu".
La deuxième semaine du procès, prévu pour s'achever début octobre, sera consacrée à l'interrogatoire des prévenus.
C.Noh--SG