
Au Sahel, les ONG prises en étau entre les juntes et les jihadistes

Au Sahel, les ONG subissent une double pression: celle des juntes militaires qui les soupçonnent d’espionnage et de complicité avec les jihadistes, et celle des islamistes qui, de leur côté, les perçoivent comme symboles de l'influence occidentale menaçant leur idéologie leur et contrôle territorial.
Dans cette région minée par des violences jihadistes, les ONG et associations internationales restent pourtant les derniers espoirs de près de 29 millions de personnes en besoin d'assistance humanitaire dans la région.
"Ces besoins sont principalement concentrés dans le Sahel central", au Mali, au Niger et au Burkina Faso avec près de 15 millions de personnes concernées, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA).
Mais depuis l'arrivée de régimes militaires dans ces trois pays, le souverainisme et la lutte antijihadiste passent avant tout, et les ONG et associations internationales, ou bénéficiant de subventions internationales, paient le prix fort, en subissant une pression démultipliée des juntes.
Au Burkina, les militaires au pouvoir ont révoqué en l'espace d'un mois l'autorisation d’exercer de 21 ONG entre juin et juillet pour raison administrative, selon eux, et suspendu dix autres associations pour une durée de trois mois.
"C'est un coup dur mais nous nous attelons à nous conformer aux dispositions légales. Pour le moment nos activités sont suspendues", dit à l'AFP un membre d'une association concernée.
Au Mali, le régime militaire a suspendu depuis 2022 les ONG financées ou soutenues par la France, ancienne puissance coloniale à laquelle les juntes sahéliennes ont tourné le dos.
La junte projette également de prélever 10% des fonds des ONG et associations "destinés au développement économique, social, environnemental et culturel", selon un projet de loi consulté par l'AFP.
- "Missions de subversion" -
Au Niger, la junte a ordonné aux ONG d'aligner leurs activités sur ses objectifs, notamment le renforcement de la sécurité, le développement des bases de production pour la souveraineté économique ou encore la promotion de la bonne gouvernance.
En novembre 2024, elle a retiré l'autorisation d'exercer à l'ONG française Acted et à l'association nigérienne Action pour le bien-être (ABPE).
Le ministre de l'Intérieur, le général Mohamed Toumba, avait affirmé en janvier que "beaucoup d'ONG" au Niger menaient des "missions de subversion" à travers des "soutiens qu'elles apportent souvent aux terroristes."
En février, le régime militaire a chassé du pays le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui était présent au Niger depuis 35 ans, accusé de "connivence avec les terroristes."
Par ailleurs, aux pressions des juntes sahéliennes s’ajoutent les attaques du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda) et l'Etat islamique au Sahel.
En 2024, au moins 26 travailleurs humanitaires ont été tués au Sahel, 23 blessés et 67 kidnappés dans 116 incidents de sécurité, selon OCHA.
"Nos interventions ne se font plus que dans quelques villes. Pour acheminer par exemple le personnel ou le ravitaillement, on privilégie la voie aérienne, ce qui engendre des coûts supplémentaires au moment même où on peine à mobiliser des ressources", dit à l'AFP un travailleur humanitaire burkinabè sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité.
"De nombreuses ONG sont désormais présentes sur le terrain grâce à leur personnel local, cela minimise les risques", explique un membre d’une ONG nigérienne.
- Activités "contraires" à la religion
Au Burkina, Médecins Sans Frontières a suspendu en octobre 2024 ses activités à Djibo, importante ville du nord encerclée par des groupes jihadistes après des attaques ayant visé ses centres de santé et ses locaux.
En août 2020, l'ONG avait quitté la ville nigérienne de Maïné Soroa, dans le sud-est, proche du Nigeria, cible de raids de Boko Haram.
"Les ONG sont ciblées parce que les groupes extrémistes cherchent à s'établir comme des autorités alternatives légitimes, en supplantant les Etats mais aussi les organisations qui fournissent des services en son nom", explique à l'AFP Charlie Werb, analyste chez Alert:24, une société de conseil en risques.
"Il y a également un aspect idéologique indéniable. Le GSIM, par exemple, a déclaré qu'il n'autoriserait les ONG à opérer dans des zones sous son contrôle que si elles abandonnaient les activités contraires à ses principes religieux", ajoute l'analyste.
Les juntes sahéliennes ont imposé des escortes armées aux ONG, pour assurer leur sécurité, disent-elles, mais surtout pour garder un œil sur leurs activités, estiment des travailleurs humanitaires.
"Mener nos activités sous escorte militaire peut entraver nos actions et nous exposer vis-à-vis de l'un des belligérants", souligne l'humanitaire burkinabè.
En 2024, plus de la moitié des décès dus au "terrorisme" dans le monde a été enregistrée au Sahel (3.885 sur un total de 7.555), rapporte l'Indice mondial du terrorisme élaboré par le groupe de réflexion australien Institute for Economics and Peace.
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O.Na--SG